Le pastoralisme est de plus en plus mentionné dans les discussions politiques et discussions de programmation sur la criminalité transfrontalière, ainsi que et dans l’activité des groupes armés, car les pasteurs sont souvent présentés comme des vecteurs potentiels de la criminalité violente et/ou du terrorisme transnational. Bien que fondé sur des préoccupations valables concernant les activités de certains pasteurs, ce prisme est également utilisé pour justifier les pratiques discriminatoires ou abusives des forces gouvernementales et des communautés locales.
Partout dans le monde, l’élevage est le point central des activités criminelles lorsque la demande de viande et de produits animaux explose, comme c’est le cas dans la région soudano-sahélienne. Le bétail est l’un des biens les plus précieux que l’on puisse posséder dans les zones rurales, et les routes de migration pastorale traversent fréquemment les territoires reculés où prospèrent les groupes criminels. Le vol de bétail ou l’extorsion des propriétaires de bétail n’est pas une pratique nouvelle, mais ces dernières années, la prolifération des armes et la force croissante des groupes criminels et insurgés ont entraîné des affrontements plus fréquents et plus meurtriers entre les voleurs professionnels et les gardes de bétail armés. Le maintien de l’ordre dans les zones frontalières et les territoires ruraux est un défi, même en dehors des zones de conflit actif, et de nombreux États ne disposent pas des ressources pour se protéger contre le banditisme croissant.
Pour protéger leurs moyens de subsistance, les pasteurs se sont adaptés de différentes manières. Les propriétaires de bétail plus riches engagent davantage de gardes armés lorsqu’ils doivent faire passer leur bétail par des territoires peu sûrs, tandis que de nombreux éleveurs de subsistance sont contraints de se déplacer vers de nouvelles régions ou de nouveaux itinéraires où ils peuvent entrer en conflit avec les agriculteurs locaux. Les pasteurs sont contraints de se déplacer vers de nouvelles régions, ou de prendre nouveaux itinéraires où ils peuvent entrer en conflit avec les agriculteurs locaux. Certains pasteurs ont formé des alliances avec des groupes armés locaux, servant d’intermédiaires pour l’approvisionnement ou la communication. Par exemple, certains pasteurs Mbororo du nord de la RDC ont été accusés de soutenir l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), bien que les Mbororo euxmêmes soient souvent victimes de la violence de la LRA.
Bien que les pasteurs soient des cibles courantes de vol ou d’exploitation, certains se livrent également au trafic ou au braconnage. Les routes de migration pastorale qui traversent des territoires reculés et des frontières échappant à la surveillance des États peuvent être idéales pour le transport de drogues, d’armes ou d’autres marchandises illicites. Bien que les pasteurs qui s’adonnent à la violence ou à des activités criminelles ne représentent qu’une minorité, leur comportement a souvent été évoqué pour provoquer la peur des pasteurs ou de groupes ethniques pastoraux spécifiques (voir Module 6 – Gestion des conflits). La perception selon laquelle les pasteurs constituent généralement une menace pour la sécurité semble justifiée en raison des tactiques qu’ils utilisent pour survivre: ils s’arment pour se protéger des bandits, évitent les autorités de l’État lorsqu’ils traversent la frontière, ou voyagent le long des routes qui ont été choisies pour la contrebande. Aux yeux du public, ces nuances sont diluées dans une description en noir et blanc des groupes pastoraux comme des criminels, une simplification que ne remettent pas en cause les responsables nationaux de l’application des lois et de la lutte contre le terrorisme.
Les chefs communautaires sont souvent les premiers à identifier et à réagir face aux menaces violentes, en particulier dans les pâturages éloignés où les forces de sécurité sont peu déployées. Ces dirigeants locaux peuvent servir d’yeux et d’oreilles aux forces de sécurité pour les aider à concentrer leurs interventions dans les zones à haut risque de vol de bétail, de contrebande, d’enlèvement ou de meurtres en guise de représailles. En outre, les systèmes d’alerte rapide (SAP) gérés par des civils dans les régions reculées peuvent fournir aux prestataires de services de sécurité débordés des informations essentielles sur les endroits où ils doivent focaliser leurs ressources limitées (voir également 4.3 – Coordination régionale de la sécurité). La sécurité axée sur la communauté dans les zones contestées ou apatrides exige toutefois un équilibre minutieux des intérêts et un renforcement substantiel de la confiance. Stimuler la collaboration avec les groupes pastoraux peut s’avérer particulièrement difficile car la confiance placée en les autorités de l’État peut être très faible après une longue histoire de négligence.

Le long de la frontière entre le Mali et le Niger, les réactions des forces de l’ordre aux vols de bétail ont été entravées par les déplacements de bétail à travers les frontières. Les autorités nigériennes qui tombent sur du bétail volé venant du Mali n’ont aucun
moyen de savoir comment entrer en contact avec les propriétaires. Et les victimes de vol n’ont aucun moyen d’atteindre les autorités et doivent prendre sur elles de partir à la recherche de leur bétail. À partir de 2017, Search a mené une intervention visant à renforcer la confiance et la coordination entre les autorités et les communautés locales des zones frontalières. Cette intervention comprenait notamment un dialogue entre les forces de sécurité, la mise en place d’un réseau d’alerte rapide et l’organisation de forums permettant aux pasteurs de s’entretenir directement avec les forces de sécurité. Des canaux plus efficaces pour le partage de l’information ont été obtenus comme résultat. Les victimes de vol pourraient apporter des informations essentielles, telles que l’heure et le lieu où leurs animaux ont été enlevés, plutôt que de ressentir le besoin de se faire justice elles-mêmes.

Dans la région frontalière contestée d’Abyei entre le Soudan et le Soudan du Sud, l’accès aux pâturages et aux terres agricoles a été un point clé du conflit entre les communautés Misseriya et Dinka Ngok. Les pasteurs Misseriya du nord ont longtemps fait migrer leur bétail vers le sud à Abyei pour accéder aux pâturages et à l’eau pendant la saison sèche, et les commerçants des deux communautés se retrouvaient sur les marchés locaux pour vendre du bétail et d’autres marchandises. Dans le contexte de la violence civile et de l’indépendance du Soudan du Sud, ces interactions se sont toutefois effondrées. Les liens économiques ont été partiellement revitalisés en 2016 avec le marché d’Amiet, qui a été établi suite à une série d’efforts de consolidation de la confiance entre les communautés, facilités par des organisations tierces comme Concordis International et la FAO. En raison de l’insécurité permanente à la frontière, la force intérimaire de sécurité des Nations unies pour Abyei est intervenue pour assurer la protection des commerçants. Sans l’approche coordonnée entre les interventions civiles de consolidation de la paix, susceptibles de rétablir les relations intercommunautaires, et la présence de forces de sécurité internationales, pouvant apporter un élément de sécurité, ce lieu de commerce n’aurait pas été possible, compte tenu des conflits en cours.
Les pâturages ouverts et les frontières poreuses qu’habitent les pasteurs sont propices aux groupes armés qui se livrent à la contrebande, au vol de bétail ou à d’autres activités illicites. En tant que cibles faciles pour le vol ou l’extorsion, les pasteurs ont réagi en s’alliant à des groupes de miliciens, en engageant des services de sécurité privés ou en retirant le bétail des routes reconnues et des postes de contrôle frontaliers officiels. Renforcer la sécurité dans ces territoires reculés et garantir la sécurité de la transhumance réduirait la violence et couperait les revenus des groupes insurgés et des syndicats criminels. Dans certains États, ces zones sont surveillées par des forces de sécurité spécialisées (comme la Garde nomade au Tchad ou les Agro-Rangers au Nigeria). En théorie, ces types de forces comblent une lacune importante dans le domaine du maintien de l’ordre en tant que force légère et facilement mobile, capable de s’engager auprès des communautés dans les zones plus reculées. Cependant, ces forces manquent souvent de ressources par rapport aux groupes criminels locaux. Les forces de l’ordre spécialisées et la sécurité des frontières se heurtent à un manque de ressources et de capacités techniques, des difficultés qui sont aggravées par un manque de confiance et de responsabilité de la part du public. Tout programme de réforme du secteur de la sécurité visant à lutter contre le banditisme rural et l’activité des insurgés doit être adapté pour faire face aux tensions potentielles entre les forces de sécurité et les populations pastorales ou les autres habitants des territoires reculés.

Garde Nationale et Nomade du Tchad (GNNT (à l’origine la Garde territoriale est une force de sécurité nationale tchadienne formée dans les années 1960 pour assurer la sécurité des autorités, protéger les bâtiments publics et les prisons, et maintenir l’ordre dans les zones rurales. Les officiers opérant à cheval ou à dos de chameau sont adaptés pour négocier le terrain dans les régions nomades. En tant que responsables du maintien de l’ordre dans les zones rurales, ils sont souvent chargés de surveiller les itinéraires de transhumance et les activités dans les parcs nationaux, ainsi que de lutter contre le vol de bétail. Bien que la GNNT représente un exemple d’agence de force de l’ordre adaptée à un contexte de pasteurs nomades, elle a fait l’objet d’accusations de discrimination, de punitions excessives et de mauvaise coordination avec les autres forces de sécurité. En octobre 2018, par exemple, le général de la GNNT Saleh Brahim a arrêté 15 chefs de village pour avoir refusé de signer un document de renonciation à leur droit de propriété foncière et les a soumis à des traitements dégradants.
Cette image présente des gardes qui patrouillent avec des chameaux à la frontière entre le Soudan et le Tchad à Abulu Kore
Diverses autorités publiques et agences de sécurité chargées de sécuriser les zones frontalières et les pâturages de pasteurs ont exprimé des inquiétudes quant au pourcentage relativement faible de la population pastorale qui se livre à des activités criminelles et à l’insurrection, décriés par la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique comme un « pastoralisme marginal ». Il existe des raisons valables de s’inquiéter de l’existence d’un lien entre les moyens de subsistance des pasteurs et les activités illicites, comme indiqué dans le présent module. Cependant, les activités des pasteurs marginaux sont souvent citées pour légitimer la suspicion envers les pratiques pastorales en général ou pour diaboliser les groupes ethniques pastoraux. L’idée que les pasteurs (ou les membres des groupes ethniques pastoraux sont des criminels violents a stimulé la discrimination et la violence intercommunautaire. Il incombe à la fois aux médias et aux autorités publics de façonner l’histoire de manière positive et de présenter une image équilibrée et précise des actions des pasteurs marginaux. Une formation sur la sensibilité aux conflits peut aider les reporters et les fonctionnaires à remettre en question leurs propres préjugés sur les groupes pastoraux et à faire des communications qui ne sont pas incendiaires.

Les pasteurs fulanis d’Afrique de l’Ouest ont souvent été stigmatisés comme une communauté activiste ; ce qui a conduit à des abus ou des violences à l’encontre des civils fulanis. L’impression que l’ensemble de la population Fulani fait partie d’une
menace organisée et activiste a été subtilement renforcée par la manière dont elle est représentée dans certaines recherches et dans les médias grand public. La représentation des Fulanis dans les banques de données sur les événements conflictuels, comme la base de données mondiale sur le terrorisme, en est un exemple clé. La base de données mondiale sur le terrorisme compile des données sur les événements terroristes dans le monde entier en s’appuyant principalement sur des sources d’information locales. Le système a utilisé le terme générique de « activiste fulanis » pour classer les attaques dans lesquelles des individus ou des groupes fulanis ont été impliqués comme auteurs par les médias locaux. Il peut s’agir d’incidents pour lesquels les médias rapportent que les auteurs sont soupçonnés d’être des Fulanis, même si cela n’a pas été confirmé ou vérifié par les forces de l’ordre. Le fait de coder les données de cette manière peut donner l’illusion que ces attaques sont toutes commises par un groupe unifié, même si elles n’ont aucun lien entre elles.
S’appuyant sur ces données, l’indice mondial du terrorisme, 2015 — qui analyse les tendances mondiales du terrorisme — a présenté les « activistes fulanis » comme la quatrième organisation terroriste la plus meurtrière au monde, comparable à Boko Haram ou à l’État islamique. Ce point a été réitéré dans les médias grand public, attisant ainsi le sentiment anti-fulani au niveau local. La présentation des « activistes fulanis » en tant que groupe a été enlevée dans les rapports GTI ultérieurs, et les discussions sur les Fulanis dans les données ont été complétées par un avertissement sur la violence liée au pastoralisme.