Les femmes sont des agents de changement, de résilience et de développement dans les sociétés pastorales. Elles jouent un rôle clé dans les chaînes de valeur pastorales, notamment dans la transformation du lait, le commerce local et l’élevage des petits ruminants. Pourtant, dans l’ensemble de la région soudano-sahélienne, les femmes rurales sont peu représentées dans les organes directeurs, les associations professionnelles et les institutions coutumières qui traitent les litiges et gèrent les ressources naturelles. Bien que les femmes des communautés pastorales ou d’autres communautés rurales aient souvent moins d’occasions de servir de figures d’autorité officielles, elles exercent une influence d’autres manières. Les femmes pastorales sont plus susceptibles de rester dans leur village ou leur région d’origine pour gérer les affaires domestiques et économiques pendant que leurs proches emmènent le bétail en migration. Cela leur permet d’exercer des métiers sédentaires (tannage des peaux d’animaux, agriculture, emmener des produits animaux vers le marché), de maintenir des liens sociaux et économiques avec les agriculteurs voisins et de façonner les habitudes des jeunes qui restent également sur place. Alors que les rôles économiques et sociaux des femmes pastorales varient à travers la région soudano-sahélienne, elles sont des acteurs essentiels qui sont toujours chroniquement négligés dans les initiatives de développement et de transformation des conflits.
Malgré leur leadership dans les affaires communautaires, les voix des femmes ne sont souvent pas entendues lorsque les intervenants privilégient les formes traditionnelles ou publiques de leadership. Il peut être difficile d’engager les femmes pastorales en tant qu’alliées et bénéficiaires directes de la programmation, car l’accès doit souvent passer par les institutions traditionnelles (et généralement patriarcales).
Leurs expériences distinctes de la violence ne reçoivent que peu d’attention : en tant que victimes de la violence sexuelle et sexiste (VSS) pendant le conflit ou en tant que celles qui doivent subvenir aux besoins de leur famille avec des compétences professionnelles et des opportunités limitées lorsque les hommes sont tués dans les conflits. Mais les femmes sont plus que des victimes. Elles sont également influentes socialement et peuvent appuyer la réconciliation ou agir en trouble-fête. Bien que les femmes soient rarement des combattantes au cours des violences entre éleveurs et agriculteurs, leurs voix peuvent inciter ou dissuader les autres à la violence.
Les femmes sont des parties prenantes égales dans l’utilisation des ressources de pâturage, mais leurs voix ne sont généralement pas représentées dans les institutions étatiques ou communautaires qui gèrent ces ressources. Les femmes constituent une proportion importante des agriculteurs de subsistance et participent à l’élevage pastoral en tant que gardiennes et vendeuses de produits animaux. Lorsqu’elles sont exclues des processus décisionnels, les efforts visant à réformer le régime foncier ou à régler les différends relatifs aux ressources sont moins susceptibles de servir les intérêts de la communauté tout entière. Lorsque les interventions externes reconnaissent les obstacles traditionnels à l’inclusion des femmes dans la gouvernance formelle et informelle, elles peuvent jouer un rôle précieux en favorisant des opportunités pour le leadership des femmes.

Au-delà de la valeur inhérente à l’engagement de toutes les parties prenantes de la communauté dans la gestion des ressources, les femmes peuvent apporter des connaissances expérientielles qui sont essentielles à la prise de décision. Au Tchad, l’Association des Femmes Peules et Peuples Autochtones du Tchad a mené un processus visant à créer une carte tridimensionnelle des ressources locales et des couloirs de migration afin de guider les décideurs sur la gestion efficace des terres. Le processus participatif qui a permis de créer cette carte a intégré les idées et les données locales partagées par les dirigeants communautaires. Après qu’une première carte ait été élaborée par les dirigeants hommes, les femmes ont été invitées à la réviser. Elles ont rapidement commencé à corriger l’emplacement des points d’eau et d’autres ressources, recommandations qui ont ensuite été validées par leurs homologues masculins.
Les canaux d’influence des femmes dans les affaires communautaires sont rarement reflétés par les dirigeants coutumiers ou les institutions étatiques, mais elles peuvent influencer de manière constructive les efforts de consolidation de la paix. Trop souvent, les «leaders» sont considérés comme ceux qui détiennent l’autorité officielle plutôt que ceux qui ont la capacité d’influencer ceux qui les entourent. Cette compréhension limitée du leadership peut mettre les femmes de côté, alors qu’elles n’ont souvent qu’un accès limité aux postes de direction publique, mais exercent néanmoins une influence considérable. Les femmes qui n’ont pas de rôle ou de poste officiel peuvent néanmoins être mobilisées en tant que médiatrices, émissaires ou défenseurs de la paix. Elles peuvent jouer un rôle de passerelle entre les communautés pastorales et agricoles, en tirant parti de leurs liens sociaux et économiques avec les femmes d’autres communautés qui sont également absentes des activités officielles de consolidation de la paix ou de gouvernance. Toutefois, l’établissement de partenariats avec les femmes au sein des communautés pastorales peut s’avérer difficile pour les personnes extérieures. La plupart des moyens d’établir des canaux de communication et de créer des liens (par exemple, par le biais des chefs traditionnels ou des associations commerciales) sont dominés par les hommes.

Afin de résoudre les conflits actuels entre les communautés pastorales et agricoles au centre du Nigeria, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), ONU Femmes, la FAO et le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) ont lancé un programme conjoint visant à renforcer le rôle des femmes dans la résolution des conflits intercommunautaires. Dans les États de Taraba et de Nasarawa, les femmes leaders ont organisé des réunions publiques qui ont rassemblé des femmes de différents groupes ethniques, notamment des bergères fulanis et des agriculteurs Tiv, qui ont ensuite été élargies aux hommes. Les résultats à court terme de ces dialogues ont été mitigés, mais l’initiative a contribué à une meilleure reconnaissance officielle du rôle des femmes dans la médiation des conflits. En 2020, par exemple, le gouvernement de l’État de Taraba a budgétisé pour la première fois des fonds destinés à soutenir le programme « ONU Femmes, paix et sécurité »
Au Cameroun, les femmes jouent un rôle influent pour assurer de bonnes relations entre les éleveurs et les communautés agricoles Gbaya. Les femmes Mbororo renforcent leurs liens économiques avec leurs amis Gbaya en échangeant le lait de leur bétail contre des légumes avant de l’amener au marché. Les femmes Gbaya ont également joué un rôle essentiel dans la consolidation de la paix en tant que praticiennes du Soré Nga’a mo, une pratique rituelle au cours de laquelle un cocktail de feuilles de Soré et d’eau sacrée est aspergé sur des personnes ou sur un village. Le rituel est utilisé dans plusieurs contextes – résoudre les conflits, se réconcilier avec les ennemis, légitimer les autorités locales ou purifier un village après un conflit ou une catastrophe naturelle – et illustre l’une des façons dont les femmes ont traditionnellement exercé leur influence en tant que bâtisseuses de paix. Au début des années 1990, par exemple, le praticien Koko Didi fut appelé par les autorités gouvernementales afin d’effectuer un rituel qui permettrait de mettre fin au conflit existant entre les communautés Gbaya et Fulani. En plus de la prestation liée au rituel, Koko Didi a fait partie d’une commission de réconciliation entre les deux communautés ayant facilité la fin de la violence.
Les populations rurales et nomades sont souvent éloignées des services juridiques et médicaux offerts aux victimes de VSS. La violence sexuelle et sexiste est un phénomène trop fréquent chez de nombreuses femmes rurales et peut être utilisée comme une arme dans les hostilités entre groupes de pasteurs ou entre communautés de pasteurs et celles sédentaires. En l’absence de systèmes juridiques permettant d’obliger les auteurs à rendre des comptes, la violence sexuelle et sexiste peut alimenter les cycles de violence à titre de représailles. Garantir la justice et la responsabilité est un défi social et juridique dans les États faibles et fragiles, car il faut que la responsabilité des actes de VSS soit une norme acceptée et que les institutions publiques la reconnaissent comme un crime. Une réponse multisectorielle et holistique à la VSS dans les pâturages peut nécessiter des tribunaux mobiles ou des services juridiques et des programmes de sensibilisation adaptés aux réalités des pasteurs.
Avec un corpus limité de recherches empiriques et peu d’opportunités pour les femmes pastorales de partager leurs perspectives avec des audiences nationales et régionales, les autorités gouvernementales et les humanitaires manquent souvent de preuves de première main pour guider leurs politiques et leurs programmes. Améliorer la compréhension du rôle des femmes et des normes de genre en soutenant la recherche menée localement et l’inclusion des femmes dans les activités de diplomatie publique est un point de départ essentiel.

En 2010, un groupe de femmes pastorales de 32 pays (dont le Burkina Faso, le Cameroun, le Mali et le Niger) s’est réuni à Mera, en Inde, afin de consolider la reconnaissance de la voix des femmes dans l’élaboration des politiques liées au pastoralisme et de lancer un appel mondial à l’action. La déclaration de Mera qui en a résulté appelle les gouvernements à accepter 23 points, dont la reconnaissance du rôle des pasteurs dans la préservation de l’environnement ; une garantie de l’égalité des droits des femmes pastorales ; la création de politiques spécifiques pour améliorer les modes de vie pastoraux ; et permettre la représentation égale des femmes pastorales. La Déclaration était un concept novateur, car c’était la première déclaration de ce type à se concentrer spécifiquement sur le rôle des femmes pastorales, mais il n’est pas encore certain qu’elle ait effectivement catalysé un changement de politique dans la région soudano-sahélienne.