Les économies rurales de la région Soudano-Sahélienne connaissent un bouleversement spectaculaire, et le développement et la gouvernance des pâturages ruraux constituent souvent une source de tension entre les groupes pastoraux et les gouvernements des États. De nombreux décideurs considèrent le pastoralisme comme incompatible avec une économie moderne et comme une pratique qui devrait être abandonnée au profit d’autres formes de production. Cette attitude a encore repoussé les voix pastorales à la marge (voir module 3 – Gouvernance et État de droit). Les détracteurs du pastoralisme ont cité le surpâturage, l’érosion des sols et la désertification comme des conséquences inévitables des pratiques pastorales, influencés par le récit dominant de la tragédie des biens communs. Bien que ces arguments aient été largement contestés par de nombreux décideurs et scientifiques, ils continuent d’inspirer les politiques de développement.
Les codes formels régissant la propriété foncière à partir de l’ère coloniale ne reconnaissaient pas les droits coutumiers d’accès aux pâturages ou à l’eau, étant donné que de nombreux pays considéraient l’expansion de l’agriculture à grande échelle comme la clé de la croissance et une population sédentaire comme une source essentielle de recettes fiscales. Les investissements de développement se sont concentrés sur l’intensification de la production alimentaire. Cela se traduit par le passage des petites exploitations agricoles aux grands conglomérats privés, et par le développement d’un marché du matériel génétique animal et des aliments en provenance des marchés étrangers pour augmenter la taille et la production du bétail sahélien.
Ces changements semblent souvent profiter aux investisseurs et aux économies d’outre-mer, au détriment des producteurs locaux, et ont accru la concurrence pour les terres entre les éleveurs, les agriculteurs locaux et les investisseurs privés. La perte de terres signifie la perte de moyens de subsistance pour les communautés rurales. Pourtant, ces politiques sont imposées par les autorités sans que leurs conséquences soient dûment prises en compte. L’hypothèse part souvent du principe que la privatisation (ou, dans certains cas, la préservation et le tourisme) va générer des emplois pour les éleveurs et les agriculteurs locaux, créant ainsi une situation « gagnantgagnant » pour toutes les parties. Les résultats sont mitigés.
Dans une grande partie des zones rurales de la région Soudano-Sahélienne, les éleveurs dépendent des terres et de ressources contrôlées par l’État, même si ces terres ont été historiquement régies par des chefs coutumiers. Les droits coutumiers liés aux terres ne sont pas juridiquement contraignants et peuvent être remis en cause par des institutions ou des entreprises publiques lorsque les terres sont échangées ou prêtées pour un usage privé. Les réformes juridiques des lois sur le régime foncier peuvent être une méthode pour remplacer la concurrence à somme nulle pour les terres entre les agriculteurs et les pasteurs, avec des cadres réglementaires équitables et faciles à comprendre. Les intervenants extérieurs sont fréquemment impliqués dans la fourniture d’une assistance technique à ces processus de réforme. Lorsqu’elles sont bien menées, les interventions peuvent réduire les tensions liées à l’utilisation des terres en facilitant la consultation des communautés locales, en identifiant les points de conflit entre le droit national et les pratiques coutumières, et en faisant pression sur les gouvernements nationaux ou étatiques pour qu’ils mettent en place des réformes conformes aux principes de gouvernance acceptés (voir les Cadre politique pour le pastoralisme en Afrique de l’Union africaine ou l’Amélioration de la gouvernance des terres pastoralesde la FAO).

En 1993, le gouvernement du Niger a institué un nouveau Code rural pour améliorer les pratiques de gestion des terres rurales et remplacer un système informel dans lequel les droits fonciers étaient largement contrôlés par les chefs traditionnels. Le Code rural n’avait pas pour but de subvertir totalement les pratiques coutumières ; il reconnaissait les droits de propriété acquis par le droit coutumier. Il comprenait le fait de reconnaître que les pasteurs ont des droits d’accès prioritaires à la terre et à l’eau dans leur localité d’origine (c’est-à-dire le territoire où ils vivent la majeure partie de l’année entre les migrations). Le code de l’eau 2010 a encore élargi les droits d’accès des pasteurs en rendant les points d’eau publics accessibles à tous, même aux pasteurs d’autres pays. Ces points d’eau publics sont censés être régis par un comité de gestion, bien que les éleveurs qui ne restent pas à proximité de ces points d’eau toute l’année sont souvent sous-représentés dans ces organes de gestion.
Puits dans le district de Dosso au Niger. Crédit photo : Nasque, CC-BY-SA 4.0
Les risques de conflits entre les éleveurs et les communautés locales doivent être pris en compte dans les plans de développement locaux, nationaux et régionaux à long terme. Les interventions décrites dans ce dossier d’information auront un impact limité si elles ne sont pas consolidées par des institutions de soutien, des financements et une adhésion politique. Les pasteurs dépendent de l’accès aux ressources communes, pendant leurs migrations, et en particulier l’eau. Historiquement, les sites d’abreuvement et de pâturage sont délimités et entretenus selon les coutumes locales. Pourtant, les pratiques traditionnelles de négociation de l’accès aux ressources publiques ou communes ont été mises à rude épreuve par l’expansion de la production de bétail, de l’agriculture et du développement des pâturages privés. L’amélioration des infrastructures physiques — comme le balisage des couloirs de migration ou des réserves de pâturage, des puits publics ou d’autres points d’accès à l’eau, et des postes de contrôle où les éleveurs peuvent accéder aux soins vétérinaires — peut contribuer à éviter que la transhumance ne devienne une source de confrontation et de conflit.

En 1965, le gouvernement régional du nord du Nigeria a élaboré la loi sur les réserves de pâturage de la région nord, ce qui a créé des couloirs pour le passage du bétail migrateur et 415 réserves de pâturage dans tout le pays. Ces réserves étaient destinées à isoler de vastes étendues de terres qui seraient exclusivement utilisées par les éleveurs pour faire paître leur bétail. Alors qu’ils étaient initialement considérés comme une solution aux conflits croissants entre éleveurs et agriculteurs, la croissance démographique, l’urbanisation et les migrations ont empiété sur ces zones désignées, réduisant l’accès des éleveurs aux réserves et à leur utilisation. Les éleveurs étaient souvent incapables de trouver des pâturages et de l’eau en quantité suffisante dans les réserves en raison de l’irrégularité des précipitations et de l’entretien insignifiant assuré par l’État et les gouvernements fédéraux. Le fait de garder leur bétail au même endroit augmentait également la vulnérabilité des troupeaux aux maladies et au banditisme, ce qui a poussé certains à se déplacer au-delà des limites des réserves.
Cette image présente une vue aérienne d’un village peul dans la réserve de pâturage de Kachia, au Nigeria. Crédit photo : Florian Plaucheur/AFP via Getty Images
Dans les espaces partagés, la gestion proactive et participative des ressources en terre et en eau est essentielle pour prévenir les conflits. La mise en place d’accords de pâturage ou la délimitation de couloirs de transhumance, par exemple, peuvent contribuer à fixer des limites entre les terres agricoles et les terres pastorales. Pour que ces pratiques soient efficaces, elles doivent équilibrer les intérêts de toutes les parties prenantes, y compris des dirigeants communautaires et des autorités de l’État. Même les programmes de gestion bien définis peuvent s’effondrer lorsqu’ils ne sont pas respectés ou lorsqu’ils privent un groupe de ses droits (comme cela s’est souvent produit avec les pasteurs). Les intervenants extérieurs peuvent jouer un rôle crucial dans la promotion de la gestion participative en facilitant les consultations avec les représentants des pasteurs et des agriculteurs ou en fournissant une formation technique aux conseils locaux ou aux chefs coutumiers.

Même si le bétail pastoral migre souvent le long d’itinéraires cohérents, ces couloirs peuvent ne pas être officiellement reconnus et protégés, ce qui laisse le champ libre à l’appropriation de ces terres à des fins de culture ou autres. Dans le Nord et le Sud-Kordofan, au Soudan, SOS Sahel a demandé aux chefs des communautés agricoles et pastorales de procéder à une identification et à une démarcation participatives de ces couloirs afin de les distinguer des terres agricoles. La délimitation faite suite à la consultation des communautés était la première étape d’un effort plus long visant à la cohésion sociale et à la gestion collaborative des pâturages. Lorsque ces couloirs menaçaient de perturber l’accès à l’eau, les communautés ont travaillé à la réhabilitation des bassins d’eau (haffirs) à l’aide de barrages de sable. Pour l’entretien à long terme, SOS Sahel a soutenu des comités mixtes chargés de l’entretien de ces couloirs et du règlement de tout litige y relatif.
Le long de la frontière Nigeria-Niger, le Programme d’Appui au Secteur de l’Elevage (PASEL), soutenu par Vétérinaires Sans Frontières, a mené un effort similaire pour sécuriser les couloirs de transhumance. PASEL a mis en place une série de comités techniques des couloirs de passage (CTCP) dirigés par des fonctionnaires de sous-préfecture et des chefs traditionnels. Ils ont identifié les couloirs et les haltes de repos en consultation avec les communautés agricoles et pastorales locales. Une fois délimités, ces couloirs ont été surveillés par des comités de surveillance composés de chefs de village, d’agriculteurs et d’éleveurs. Des comités de surveillance ont été chargés de veiller à ce que les couloirs soient respectés et à ce que tout litige lié au bétail soit réglé.
Cette image présente des parties prenantes locales discutant d’une carte des routes de transhumance au Mali. Crédit photo : Leif Brottem
Les communautés pastorales mobiles n’ont souvent pas accès aux services sociaux de base — éducation, soins médicaux, formation professionnelle — qui sont généralement fournis dans les centres urbains. Le manque d’accès peut créer une société à part, limitant les possibilités pour les jeunes (ou d’autres personnes) de trouver d’autres moyens de subsistance ou d’intégrer de nouveaux systèmes sociaux. Des programmes de prestation de services mobiles ciblés, comme l’utilisation d’« écoles de terrain », peuvent mettre en contact les populations éloignées et mobiles aux services sociaux et même socialiser les bonnes pratiques de coopération avec les communautés sédentaires. Outre la prestation des services sociaux, il est également intéressant d’élargir l’accès aux services financiers, qui constituent une ressource essentielle pour transformer les moyens de subsistance et les modes de vie des pasteurs, généralement inaccessibles aux populations nomades.

Le manque d’accès aux services éducatifs disponibles dans les grands centres de population limite la capacité des pasteurs à apprendre et à adopter de nouvelles techniques pour faire face aux pressions croissantes dues au changement climatique ou au changement des systèmes fonciers. Cela peut rendre les pasteurs vulnérables aux chocs environnementaux, aux zoonoses (maladies animales) et aux déplacements dus au développement commercial, et leur laisser des alternatives économiques limitées en dehors des activités illicites. Les écoles pastorales de terrain — un modèle appliqué initialement au Kenya mais adopté depuis ailleurs — ont été une solution pour combler cette lacune. Les écoles pastorales de terrain consistent généralement en un petit groupe de pasteurs qui se rencontrent régulièrement avec un animateur expérimenté et discutent des bonnes pratiques ou des solutions innovantes pour améliorer leur production animale ou s’adapter à des facteurs de stress comme le changement climatique. Plutôt que d’imposer des réformes externes aux moyens de subsistance pastoraux, il s’agit d’un processus d’acquisition et de mise à profit des connaissances locales, ainsi que de soutien aux pasteurs dans leur adaptation aux nouveaux défis de leur écosystème.
Les écoles de terrain peuvent également être utilisées pour fournir des services éducatifs plus fondamentaux — tels que des programmes d’alphabétisation — aux enfants qui ne sont pas en mesure de fréquenter les écoles fixes. Le gouvernement fédéral du Nigeria, par exemple, a officialisé ces services éducatifs par le biais de la National Commission of Nomadic Education (Commission nationale de l’éducation nomade). Leurs efforts peuvent aller de la mise en place de huttes ou de structures temporaires le long des itinéraires nomades à l’utilisation de l’instruction interactive par radio pour diffuser des leçons sur le calcul, l’alphabétisation et les aptitudes de base de la vie courante aux adultes et aux enfants nomades, afin de compléter le temps limité de l’enseignement en présentiel.
Cette image présente des enfants d’éleveurs à l’école, sous un arbre au Somaliland. Crédit photo : In Pictures Ltd./ Corbis via Getty Images
Les initiatives de développement visant à aider les communautés rurales et les pasteurs à moderniser leurs pratiques modifieront par inadvertance les relations entre les pasteurs et les autres communautés avec lesquelles ils partagent le même espace. Les évaluations traditionnelles ne sont souvent pas adaptées à la prise en compte des populations nomades, car elles ont tendance à privilégier les résidents permanents d’une communauté, ceux-ci étant plus visibles. L’évaluation des répercussions sociopolitiques, économiques ou environnementales de tout effort de développement, quelle que soit son envergure ou sa portée, est essentielle à toute phase de conception d’un programme. Cela peut nécessiter de faire appel à l’expertise spécialisée d’anthropologues, d’experts en économie politique ou d’autres personnes qui comprennent les nuances de l’engagement avec les populations pastorales.

En 2015, la Banque mondiale a lancé deux grandes initiatives de développement axées sur le soutien au pastoralisme et à l’agro-pastoralisme : le Projet régional d’appui au pastoralisme au Sahel (PRAPS) dans six pays sahéliens, et le Projet régional de résilience des moyens de subsistance pastoraux (RPLRP) dans trois pays d’Afrique de l’Est. Ces deux initiatives visent à investir de manière significative dans les infrastructures locales et les pratiques de gestion des ressources dans des contextes où l’accès aux ressources constituait un point de conflit entre les communautés pastorales et agricoles. Consciente de la nécessité d’éviter que ces investissements ne déclenchent de nouvelles hostilités, la Banque a mis sur pied un ensemble d’outils spécialisés pour former et sensibiliser les responsables de la mise en œuvre sur le lien entre conflit et développement pastoral. Dans le cadre du programme Pastoralisme et stabilité au Sahel et dans la Corne de l’Afrique (PASSHA), la Banque a intégré des experts en conflit au sein des organismes de mise en œuvre du PRAPS et du RPLRP qui peuvent former le personnel de projet à l’identification des risques potentiels de conflit, et notamment à l’utilisation d’un Guide pratique sur la sensibilité et la prévention aux conflits pour les projets de développement du secteur de l’élevage et d’une liste de contrôle de l’évaluation des projets sur le terrain.